I. Pedro Figari en hipertexto


Martinenche, Ernest - Le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations avec l'Amérique latine, en Congrès International pour l'Extension et la Culture de la Langue Française, Edouard Champion, Libraire-Éditeur, Paris, 1914.



Le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations avec l'Amérique latine,

E. MARTINENCHE,

professeur à la Sorbonne, secrétaire général.


Le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations avec l'Amérique latine a été fondé en 1908, sur l'initiative de M. le professeur Le Chatelier, par quelques-uns des représentants les plus éminents des universités et des grandes écoles de France. M. Liard, vice-recteur de l'Université de Paris, en accepta la présidence. MM. Levasseur, administrateur du Collège de France, et Appell, doyen de la Faculté des sciences de Paris, furent nommés vice-présidents.

Le groupement est né de l'idée que la France et les pays de l'Amérique latine ont toujours été unis par les liens d'une sympathie réciproque et profonde, qui vient non seulement d'une parenté de race, d'une similitude de langue, mais aussi et surtout d'une orientation parallèle de la culture générale.

Malgré tous les efforts dirigés contre l'influence française, les républiques de l'Amérique latine ne demandent qu'à continuer à suivre leur sympathie naturelle pour la France, qui a, en échange, le devoir, qu'elle a parfois négligé, de leur manifester sa sympathie par un actif concours et un continuel échange d'idées.

Le groupement s'est donc fondé avec le désir de maintenir et de développer les liens formés par la tradition historique et par la communauté de l'idéal latin, et de réagir contre des préjugés trop répandus sur l'Amérique latine, et, plus encore, contre l'ignorance dans laquelle on la tenait trop volontairement en Europe.

Les hommes qui ont fondé le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations avec l'Amérique latine ont pensé qu'il y avait un rôle utile à remplir en rapprochant les Latins des deux continents. Une humanité se forme et grandit là-bas, dont nous avons le devoir de suivre et d'encourager les efforts. L'Amérique latine n'a guère connu, jusqu'à maintenant, qu'un enseignement primaire et un enseignement supérieur professionnel. A mesure que se développe sa civilisation, elle a d'autres besoins intellectuels à satisfaire. Nous croyons que nos méthodes peuvent lui être utiles. La France a été l'intermédiaire indispensable entre le Nord et le Midi de l'Europe ; il serait glorieux pour elle qu'elle jouât le même rôle entre l'ancien et le nouveau monde. Son influence sera d'autant plus facilement acceptée qu'on ne saurait mettre en doute son désintéressement. Elle ne nourrit aucun « conquistador » « ivre d'un rêve héroïque et brutal ». Elle ne songe même pas à une conquête morale. Jamais elle n'a été plus elle-même que lorsqu'elle a aidé un autre peuple à conquérir, ou à maintenir, son intégrité et son originalité.

Si elle peut contribuer à éloigner de l'Amérique latine la barbarie d'une civilisation purement industrielle, elle n'aura pas rendu un médiocre service à l'humanité.

                                            
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Le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations avec l'Amérique latine a son siège social secrétariat de la Faculté des sciences de Paris, à la Sorbonnc.1) Il est dirigé par un conseil comprenant des représentants qualifiés des universités et grandes écoles de France, qui se réunit au moins une fois par an, le jour de l'assemblée générale. Les affaires courantes sont expédiées par un comité de direction présidé par M. Appell, doyen de la Faculté des sciences de Paris, et (Composé de MM. Bourgeois, professeur à la Faculté des lettres de Paris, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres, Delàfond, directeur de l'Ecole nationale des Mines, Larnaude, professeur à la Faculté de droit de Paris, Le Chatelier, professeur au Collège de France, Piccioni, sous-chef des archives au Ministère des affaires étrangères, et Lucien Poincaré, directeur de l'enseignement secondaire. Le trésorier du Groupement est M. Henry Péreire, et le secrétaire général du comité de direction est M. Martinenche, de la Faculté des lettres de Paris.

Le premier souci du comité de direction fut de nommer, dans toutes les républiques de l'Amérique latine, des représentants autorisés. Il existe actuellement, dans tous les pays latins du nouveau monde, des comités ou des correspondants qui reçoivent les adhésions au Groupement et qui se tiennent en relations constantes avec son comité de direction.

Un groupement universitaire français devait s'efforcer d'abord d'assurer le meilleur accueil aux étudiants de l'Amérique latine qui lui feraient l'honneur de s'adresser à lui. Grâce à la générosité des compagnies de navigation françaises, il a pu leur rendre le voyage plus facile.2) Pour que leur séjour en France leur fût plus profitable, il a constitué, pour les diriger, une commission composée de MM. le Dr. Gley, professeur au Collège de France, Geouffre de Lapradelle, professeur à la Faculté de droit, Borel, professeur à la Faculté des sciences, Dumas, professeur à la Faculté des lettres, Bourlet, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers. A leur arrivée à Paris, selon la nature des études qu'ils désirent poursuivre, les jeunes gens venus de l'Amérique latine peuvent s'adresser à l'un de ces professeurs, qui leur donnera toutes les indicatious nécessaires.3)

Un préjugé pèse encore sur notre enseignement supérieur : on le croit plus théorique que pratique, parce qu'on ignore sa souplesse et sa variété. C'est afin d'en faire mieux connaître les ressources que le Groupenjent a envoyé à ses divers correspondants son Livre de l'étudiant américain en France. On y trouve les indications les plus précises sur nos universités, leurs laboratoires et leurs instituts, comme aussi sur la vie matérielle dans nos diverses provinces et sur les cours spéciaux organisés pour les étudiants étrangers.

Pour en rendre la consultation plus facile aux étudiants de l'Amérique latine, le Groupement en a publié, en 1913, une édition espagnole et une édition portugaise. Ces deux nouvelles éditions sont illustrées de quelques images qui achèvent de montrer les progrès accomplis par les universités de nos départements et les résultats obtenus depuis la réforme profonde de notre enseignement supérieur.

Le Groupement s'est préoccupé également de fonder à Paris une Bibliothèque américaine, pour réunir les livres et publications périodiques édités dans les républiques de l'Amérique latine, ainsi que les ouvrages et revues parus en France et à l'étranger et concernant ces mêmes États.

Le Groupement ne pouvait travailler avec efficacité à la tâche qu'il a entreprise s'il ne disposait de moyens d'information et de documentation sur les pays auxquels il s'adresse. Les livres américains sont rares en France ; les bibliothèques publiques n'en possèdent que quelques exemplaires isolés, et les libraires parisiens n'en connaissent même pas les noms. La Bibliothèque américaine du Groupement constitue donc un centre, unique à Paris, d'informations et d'études américaines, précieux à la fois pour les Américains qui se trouvent à Paris, et pour les Français qui désirent s'enquérir des choses d'Amérique.

La Bibliothèque américaine, qui n'a que deux années d'existence, compte déjà près de 3,000 volumes. Elle se trouve à la Sorbonne et est ouverte au public, pendant l'année scolaire, tous les jeudis de 2 heures à o heures. Son bibliothécaire est M. Charles Lesca.

Cette bibliothèque a son Bulletin, qui est l'organe du Groupement. Le Bullelin de la Bibliothèque américaine, qui paraît tous les mois, sert à propager, en France et en Amérique, l'activité du Groupement. Il publie des articles sur les principales questions intéressant le mouvement intellectuel de l'Amérique latine. Il insère les communications des universités françaises et américaines, ainsi que les décisions des gouvernements intéressant l'oeuvre du Groupement.

Une partie importante est réservée aux bibliographies critiques des ouvrages récemment parus.

Enfin, tous les ans, un collaborateur autorisé de chacun des pays de l'Amérique latine dresse un tableau de l'activité universitaire, scientifique, littéraire et artistique pendant l'année écoulée.

Ainsi compris, le Bulletin de la Bibliothèque américaine rend d'assez importants services, et, tout en faisant connaître aux universités des deux mondes et au public lettré l'oeuvre du Groupement, il tient le lecteur français au courant d'un mouvement intellectuel qu'il ignore à peu près complètement, et aide les travailleurs à orienter leui's recherches.

Par son caractère exclusivement scientifique et littéraire, il se distingue d'autres publications consacrées également à l'Amérique, mais qui se préoccupent plus particulièrement des questions économiques et financières.

Le rédacteur en chef do ce Bulletin est M. J.-F. Juge, qui a groupé autour de lui de nombreux et éminents professeurs, savants et écrivains américains et français. La lecture des sommaires de ces trois premières années suffit à montrer que cette modeste publication a répondu aux espérances de ses fondateurs en devenant un lien véritable, aussi bien entre les diverses républiques de l'Amérique latine, qu'entre l'Amérique latine et la France.4)

Nous venons de dire quelle est l'organisation du Groupement des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations avec l'Amérique latine, de quels moyens d'action il dispose, ce qu'est, en somme, sa vie intérieure. Voici maintenant quelles ont été, depuis sa fondation, les manifestations extérieures qui ont permis de constater son activité, et l'utilité de son effort.

Jusqu'à présent, si de nombreux étudiants et professeurs américains venaient en France, il était rare que des professeurs français traversassent l'Océan, et il n'arrivait presque jamais qu'un étudiant français se rendît en Amérique. Les membres du Comité du Groupement, dont le but est aussi bien de faire connaître l'Amérique latine aux Français que de créer un courant de professeurs et étudiants américains vers la France, se sont efforcés d'envoyer vers le nouveau monde le plus grand nombre de leurs compatriotes.

En 1909, répondant aune invitation des autorités académiques brésiliennes, le Groupement délégua aux fêtes du Congrès académique national de São-Paulo cinq étudiants français chargés de représenter la Faculté de médecine, l'Ecole nationale des Mines, la Faculté de droit, la Faculté des sciences et la Faculté des lettres. Ces jeunes gens, qui furent les seuls étrangers invités, reçurent au Brésil un accueil qui mit en évidence la sympathie profonde qui unit la France et les pays de l'Amérique latine. Le gouvernement de l'Etat de São-Paulo organisa en leur honneur des fêtes si brillantes qu'on n'eut pas de peine à sentir qu'elles n'étaient pas seulement officielles.

A la suite de cette visite, et pour rendre plus étroites les relations de l'Etat de São-Paulo avec notre Groupement, un comité, composé de deux professeurs de chaque école supérieure, s'est constitué sous le titre União Escolar Franco-Paulista.

En 1910, une délégation d'étudiants brésiliens vint rendre à Paris la visite que leur avaient faite leurs camarades français. Par les visites qu'il organisa dans nos grandes écoles et à la Sorbonne, le Groupement s'efforça de les faire pénétrer au coeur même de notre vie universitaire.

Le Groupement a également délégué dans l'Amérique latine des professeurs français qui se sont chargés de propager son oeuvre. C'est ainsi que MM. les professeurs Dumas, en 1908 et en 1912, Richet, en 1909, et Pozzi en 1912, acceptèrent de le représenter pendant leurs voyages et leurs séjours dans le Brésil, l'Uruguay et l'Argentine.

En 1910, année qui marquait pour plusieurs républiques de l'Amérique latine le centenaire de la date glorieuse de leur indépendance, le Groupement délégua son secrétaire général.

M. le professeur Martinenche mit à profit cette délégation pour visiter successivement le Brésil, l'Uruguay, l'Argentine, le Chili, le Pérou, Panama, le Mexique et Cuba.5)

Dans ces voyages, les professeurs français ne manquèrent pas de faire les conférences qui leur étaient demandées partout où ils passaient, mais ces conférences isolées étaient loin d'avoir le caractère de contiTiuité que recherchait le Groupement. Aussi a-t-il organisé des échanges universitaires réguliers entre la France et les pays latins d'Amérique. Il s'est mis à la disposition des républiques de l'Amérique latine pour envoyer à celles qui en feraient la demande des professeurs français dans les divers ordres d'enseignement. Il a eu le plaisir de voir le,succès le plus encourageant répondre à celte initiative.

L'accueil le plus sympathique a été réservé aux maîtres français qui, sur la demande qu'on leur avait fait l'honneur de leur adresser, sont allés professer des cours temporaires dans les Universités de l'Amérique latine. C'est ainsi qu'en 1911 le secrétaire général du Groupement l'eçut de Buenos-Aires une invitation qu'il fut heureux d'accepter. La même année, et dans la même ville, pendant que M. Martinenche faisait, à la Faculté des lettres, un cours de littérature comparée, M. Duguit, professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, donnait une série de leçons très suivies à la Faculté de droit. En 1912, ce fut M. Dumas, professeur à la Faculté des lettres de Paris, qui alla professer à São-Paulo un cours sur les philosophes français contemporains. De leur côté, les républiques de l'Amérique latine nous envoient des professeurs et des conférenciers auxquels la Sorbonne s'honore d'ouvrir ses amphithéâtres.

Il convient de signaler tout d'abord le cours d'études brésiliennes qui est, d'ores et déjà, un enseignement régulier dont l'Amérique latine a enrichi l'Université de Paris. Organisé par l'Union scolaire franco-pauliste, comité correspondant du Groupement à São-Paulo, le cours d'études brésiliennes fonctionne régulièrement depuis trois ans. M. le ministre de Oliveira Lima, de l'Académie brésilienne, l'inaugura, en 1911, à la Faculté des lettres, par un cours magistral sur « la Formation de la nationalité brésilienne ». En 1912, ce fut M. Miguel Arrojado Lisboa qui parla, à la Faculté des sciences, sur le « Milieu physique au Brésil ». Enfin, en 1913, M. Rodrigo Catavio, de l'Académie brésilienne, traita, à la Faculté de droit, de « la situation juridique de l'étranger au Brésil ».

Deux professeurs argentins, MM. Dellepiane, de la Faculté des lettres, et A. Gallardo, de la Faculté des sciences de Buenos-Aires, ont également fait en Sorbonne des cours très suivis et très appréciés, l'un sur la théorie du progrès, et l'autre sur la division cellulaire.

Enfin le Groupement a organisé à la Sorbonne de nombreuses conférences d'ordre général sur l'histoire des rapports de la France et de l'Amérique latine. Il convient de citer particulièrement celles de MM. P. Groussac, directeur de la Bibliothèque nationale de Buenos-Aires, C. Vlllanueva, l'éminent historien et diplomate vénézuélien, Medeiros de Albuquerque, de l'Académie brésilienne, N. Morales, doyen de la Faculté de médecine de La Paz et Manuel Ugarte, le distingué écrivain argentin.6)

L'extension continue du Groupement et le développement sans cesse croissant de ses relations avec l'Amérique latine ne lui permettent plus de se contenter des locaux mis à sa disposition à la Sorbonne. Grâce à l'Université de Paris, et à son président, ses services pourront être transportés, en octobre prochain, dans un immeuble où ils disposeront de la place nécessaire.7) Cette nouvelle installation permettra d'ouvrir tous les jours au public la Bibliothèque américaine.

Certes, on est encore loin de ce palais de l'Amérique latine que le Groupement rêve de fonder ; mais il a, d'ores et déjà, créé un centre d'études qui contribue à dissiper des ignorances et à fortifier des bonnes volontés toujours plus nombreuses. Il fait des efforts modestes, mais efficaces, pour maintenir une influence que ne suffirait pas à assurer à la France le prestige que garde encore sa production scientifique, littéraire et artistique. Une vive concurrence internationale se poursuit là-bas sur tous les domaines. Le Groupement a, du moins, pour lui les meilleures armes, la communauté d'un idéal latin et la sincérité d'une sympathie qui souhaite avant tout d'être utile.

La tâche qu'il a entreprise est de celles dont la grandeur suffit à rehausser les plus modestes de ses ouvriers. Il la poursuivra avec une inlassable ardeur, parce qu'il fonde les plus beaux espoirs sur le développement des relations universitaires entre ces Latins qui se sont créé, sous les étoiles nouvelles, des patries fermement aimées, et la France qui n'a jamais mieux rempli son rôle qu'en cultivant le sentiment de l'Humanité.



1) Pour être membre actif du Groupement, il suffit de verser une cotisation annuelle de 5 francs au moins. Une cotisation de 15 francs au moins donne droit au service du Bulletin dont il sera parlé plus loin.
2) On trouvera dans Le livre de l'étudiant américain en France, édité par le Groupement, le détail des réductions qu'ont bien voulu consentir la Compagnie transatlantique, la Société générale des transports maritimes et la Sud-Atlantique.
3) Le secrétaire général du comité de direction se tient aussi à leur disposition le mardi, de 2 à 4 heures de l'après-midi, à la Sorbonne.
4) Le prix d'abonnement au Bulletin de la Bibliothèque américaine est de 10 francs par an. S'adresser à l'administration du Bulletin de la Bibliothèque américaine : Librairie Hachette & Cie 79, boulevard Saint-Germain, Paris.
5) Sur ces visites et leurs résultats, consultez le Bulletin de la Bibliothèque américaine, du 15 avril 1911.
6) Consultez, sur le caractère et l'utilité de ces conférences, les numéros d'avril 1912 et de juin 1913 du Bulletin de la Bibliothèque américaine.
7) Cet immeuble est situé au boulevard Raspail.