I. Pedro Figari en hipertexto

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 Le peintre et restaurateur Juan Corradini est l'auteur d'un essai fascinant sur la calligraphie de Figari : //Radiografía y macroscopía del grafismo de Figari//. Ce livre, très technique, comprend des photos des oeuvres de Figari. Les détails des peintures ont été mis en valeur par différentes sources lumineuses : lumière diffuse, rasante, zénithale ou tangentielle. La photographie reproduit la lumière réfléchie sur la surface des tableaux. C'est pourquoi certains tableaux ont également été radiographiés, afin que les images apparaissent en transparence. La radiographie permet de se rendre compte des variables et des constantes de l'écriture plastique de Figari. Elle fait aussi clairement ressortir l'analogie structurelle entre les touches de couleur visibles et celles Le peintre et restaurateur Juan Corradini est l'auteur d'un essai fascinant sur la calligraphie de Figari : //Radiografía y macroscopía del grafismo de Figari//. Ce livre, très technique, comprend des photos des oeuvres de Figari. Les détails des peintures ont été mis en valeur par différentes sources lumineuses : lumière diffuse, rasante, zénithale ou tangentielle. La photographie reproduit la lumière réfléchie sur la surface des tableaux. C'est pourquoi certains tableaux ont également été radiographiés, afin que les images apparaissent en transparence. La radiographie permet de se rendre compte des variables et des constantes de l'écriture plastique de Figari. Elle fait aussi clairement ressortir l'analogie structurelle entre les touches de couleur visibles et celles
-qu'on ne remarque pas. La plupart des tableaux de Figari sont réalisés sur du carton, sans fond préalable. A certains endroits, le carton n'est pas recouvert de peinture. La radiographie, en mettant à nu le procédé créatif utilisé par Figari, permet de déceler des textures cachées d'une beauté insolente : une ébauche au crayon, un dessin précis réalisé avec la pointe du pinceau (servant à brosser les éléments principaux de la composition), puis l'application des fonds. A première vue, le graphisme de Figari est direct et dynamique. La matière en est généreuse, les couleurs abondent et sont reliées par d'interminables arabesques. En regardant ses oeuvres en+qu'on ne remarque pas. La plupart des tableaux de Figari sont réalisés sur du carton, sans fond préalable. A certains endroits, le carton n'est pas recouvert de peinture. La radiographie, en mettant à nu le procédé créatif utilisé par Figari, permet de déceler des textures cachées d'une beauté insolente : une ébauche au crayon, un dessin précis réalisé avec la pointe du pinceau (servant à brosser les éléments principaux de la composition), puis l'application des fonds. A première vue, le graphisme de Figari est direct et dynamique. La matière en est généreuse, les couleurs abondent et sont reliées par d'interminables arabesques. En regardant ses oeuvres en transparence, on leur découvre une beauté plastique insoupçonnée, un modelage raffiné qui exalte 
 +l'image visible. Ses coups de pinceaux sont longs, ses traits sont curvilinéaires et différenciés. Parfois, Figari s'interrompt brusquement pour charger son pinceau de peinture et produire ainsi un effet de relief en "chou-fleur". A d'autres endroits, les touches de peinture ressemblent à des coups de fouet : les courbes se referment en boucle ou en spirale ou - lorsqu'il s'agit de traits verticaux - elles prennent la forme de "S" allongés et ondoyants. Ces éléments, qui sont parfois associés à des coups de pinceau et de spatule, traduisent le plaisir sensoriel ressenti par Figari lorsqu'il peignait. L'agencement structurel des tableaux de Figari, nettement plus vigoureux que l'image 
 +elle-même, met à nu son vitalisme. Chacune de ses oeuvres reconstitue le processus créatif et propose ainsi une nouvelle histoire de la peinture. 
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 +Sur un plan conceptuel et expressif, Figari part à la recherche d'une existence originelle, 
 +vierge des contradictions de la civilisation actuelle. Dans ce but, il invente un monde qui n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais. Mais la mémoire présumée et la lumière du souvenir ne sont que des prétextes pour recréer un paradis terrestre, le bonheur annoncé. Cette félicité ne compense pas les souffrances, mais permet de célébrer gaiement une existence libre.  
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 +Figari aurait pu dire, comme son ami Bonnard : "Je ne suis d'aucune école : je cherche 
 +uniquement à faire quelque chose de personnel". Il a beau se poser en documentaliste des traditions uruguayennes, il affirme également : "En regardant mes peintures, mes souvenirs reviennent, sans doute magnifiés par rapport au moment où j'ai ressenti ma première émotion. Par la suite, j'ai idéalisé tout ce qui concerne notre campagne, la poésie du noble effort produit par le gaucho et sa compagne afin de modeler une âme américaine". Il voyait ses peintures avec le même plaisir qu'un adulte se remémorant l' univers de son enfance. Mais il ne faut pas se méprendre sur Figari. Il fut un être plus rationnel que sentimental, même s'il a pu - comme tout le monde - tomber parfois dans la sensiblerie et la nostalgie. L'académisme de Blanes a mystifié le gaucho en en faisant un personnage romantique et rêveur. Son apparent descriptivisme réaliste a pris le relai de l'oeuvre des artistes voyageurs du début du XIX' siècle qui, plus modestement, 
 +avaient immortalisé des paysages et des coutumes inconnues. L'impersonnalité des toiles optimistes et naïves de l'Anglais Emeric Essex Vidal (1791-1861) et le lyrisme enveloppant de l'Alsacien Adolphe d'Hastrel de Rivedoux (1805-1875) sont des témoignages de l'époque dorée de la société naissante du Rio de La Plata. Emeric Essex Vidal disparut le jour de la naissance de Figari ; ses toiles furent publiées dans l'album : //Picturesques Illustrations of Buenos Aires and Monte Video//. Ces artistes ont été des pionniers, des documentalistes qui ont élaboré le premier inventaire des coutumes uruguayennes. Figari a évité cette tendance. Il était convaincu qu'il fallait "faire renaître le sentiment américain naturel, qui a temporellement disparu à cause de notre fascination pour ces civilisations européennes grandes et puissantes. Ce sentiment doit devenir chaque jour plus fort et plus robuste, car c'est sur lui que se fondent la distinction et la dignité d'un peuple. C'est également lui qui stimule les efforts féconds et supérieurs". Selon Figari, il ne faut pas croire en "l'illusion d'une pseudo-tradition européenne comme succédané possible" des coutumes natives. Il s'agit de fonder une tradition nouvelle sur des bases propres à l'Uruguay, sans "renoncer 
 +à la culture importée", mais sans s'y soumettre non plus. Figari a consacré sa vie à défendre cette indépendance culturelle noble et exemplaire. 
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 +A cette époque, certains courants de pensée ont tenté d'ébranler le pouvoir hégémonique érigé en culture internationale, peu préoccupée par la nouvelle ethnie latinoaméricaine formée d'Européens, d'Américains et d'Africains. Ces courants se sont concrétisés dans différents mouvements, comme l'école muraliste mexicaine. Figari, et après lui le constructiviste Joaquín Torres Garda en sont des exemples. En rejoignant la pensée de Figari, le poète congolais Théophile Obenka disait, en français : "Les mots sont leurs mots, mais le chant est nôtre". Dans le langage de Borges, découvrir une intonation, une syntaxe particulière, c'est avoir trouvé un destin. L'un des nombreux destins de Figari fut de concrétiser un univers pictural unique, si personnel qu'il n'eut, ni ne put avoir de successeurs. Il eut à peine quelques échos dans sa propre littérature poétique et narrative. Les correspondances possibles qu'on lui a trouvées (avec Güiraldes ou Supervielle) relèvent sans conteste du //Zeitgeist//. De même, l'esprit de son temps a entraîné dans ses compositions un agencement aussi rigoureux qu'un syllogisme. Derrière la spontanéité apparente et la liberté de ses thèmes et de sa technique, la divine proportion semble commander, dans chaque scène, la distribution des personnages et des éléments naturels. Les lignes horizontales prédominent. Ainsi dans //Jour de battage//, le ciel se découpe en bandes parallèles, u'on retrouve dans l'architecture coloniale des maisons, traversées par des lignes verticales énergiques dissimulées par les grilles, les fenêtres ou les troncs d'arbres. Elles créent des zones de tension, des atmosphères désolées et menaçantes semblables à celles de Giorgio De Chirico et d'Edward Hopper. Dans d'autres tableaux, comme //Fantaisie//, des cieux mobiles et expansifs et des ombus produisent un climat imaginaire et onirique. Parfois, Figari utilise d'interminables arabesques pour donner du mouvement à des scènes débordantes de vitalité : des couples de gauchos avec leurs compagnes, des dames dans les salons des autorités fédérales (mises en valeur par le rouge carmin cher au dictateur argentin de l'époque, Rosas) ou des //candombes//. Dans //Le Repentir//, satire grotesque aux accents populaires inimitables, il explore le domaine de l'abstraction expressionniste. Son raffinement chromatique fait dire à Georges Pillement, en 1930, qu'il "restera certainement l'un des coloristes les plus merveilleux qui soient". La palette flamboyante de Figari colore des rythmes obsédants et constants. Elle attire l'oeil sur des détails révélateurs, comme de légères expressions ou des attitudes. Pour les tableaux représentés à l'intérieur de ses tableaux, les nuances sont plus soutenues, comme si elles venaient formuler un commentaire ironique. Dans l'agencement habile des figures de chats et de chiens, elles indiquent une direction ou soulignent un mouvement qui incite immédiatement au sourire. Une analyse sémiotique visuelle des détails de Figari serait probablement très révélatrice. Il ne les multiplie pas simplement pour faire de l'humour, ni par souci formel. Il cherche au contraire à créer une complicité en distribuant, comme au hasard, des signes qui attirent le spectateur et l'attrapent pour le conduire au-delà des images représentatives. Ces détails figurent sur les premiers plans, mais aussi dans les scènes de groupe. Dans //La Bataille d'Alexandre// d'Albrecht Altdorfer, un ciel tourmenté et menaçant semble se précipiter sur des armées minuscules. Figari n'a en commun avec ce peintre que l'immensité et la majesté de ses cieux. Le ciel figarien est protecteur ; il est la 
 +représentation naturelle de l'innocence des gauchos, qu'il exalte par son aspect calme et archaïque. Certains détails humoristiques se glissent dans //Au cimetière// : les personnages vont et viennent ; l'un porte le cercueil sous son bras, l'autre dépose gaiement les couronnes mortuaires sur les tombes. On remarque d'autres détails similaires dans la dynamique farfelue de la //Visite chez le gouverneur//. Le critique Jorge Romero Brest avait raison de dire que "contrairement aux peintres français 
 +auxquels on le rattachait, Figari a pratiqué un style d'humour américain. Non parce qu'il a peint des scènes représentant des Noirs, des gauchos et leur compagnes - que même son souvenir n'aurait pu lui inspirer, sans cela elles n'eussent pas été ainsi - mais parce qu'il sut les charger de l'accent mi-sarcastique, mi-sentimental, primitif et populaire qui caractérise ces peuples américains pratiquement vierges". En effet, il ne faut pas chercher la particularité de l'oeuvre de Figari dans sa représentation plaisante et, selon certains, exotique. Celle-ci n'est qu'un prétexte pour peindre de nombreuses scènes qui émanent de l'inconscient collectif d'une société. Ces images se situent en marge de l'ordre des faits circonstantiels et temporels. Au-delà des circonstances de son époque, Figari exprime la vitalité de cette société en plaçant la peinture dans un état de grâce. 
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 +                         Traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon