I. Pedro Figari en hipertexto

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arodriguez
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 **Le maté chez Figari** **Le maté chez Figari**
  
-Le célèbre artiste uruguayien me reçoit dans un minuscule appartement meublé de la rue de Surène, où il est descendu à son passage à Paris. Et dans cet appartement une pièce, grande comme un tableau d'histoire (ce n'est pas beaucoup pour un salon) est réservée au travail. M. Figari m'y reçoit avec aménité. Mince, souple, étonnamment jeune pour son âge, avec une barbe en pointe à peine touchée de blanc, les yeux vifs, malicieux et indulgents derrière de grosses lunettes d'écaillé.+Le célèbre artiste uruguayien me reçoit dans un minuscule appartement meublé de la rue de Surène, où il est descendu [[http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/4354839001/paris-les-annees-lumineuses-1905-1930.fr.html|à son passage à Paris]]. Et dans cet appartement une pièce, grande comme un tableau d'histoire (ce n'est pas beaucoup pour un salon) est réservée au travail. M. Figari m'y reçoit avec aménité. Mince, souple, étonnamment jeune pour son âge, avec une barbe en pointe à peine touchée de blanc, les yeux vifs, malicieux et indulgents derrière de grosses lunettes d'écaillé.
  
-— J'ai besoin de si peu de place, déclare-t-il. +— J'ai besoin de si peu de place, déclare-t-il. Vous savez que je ne me sers jamais de modèles. Même pour le paysage, d'ailleurs. Tout ce que je fais, c'est d'imagination. Je puise dans mes souvenirs.
-Vous savez que je ne me sers jamais de modèles. Même pour le paysage, d'ailleurs. Tout ce que je fais, c'est d'imagination. Je puise dans mes souvenirs.+
  
 Il me montre son attirail. Un vieux bidon d'essence où trempent quelques pinceaux, une palette. Et sur un chevalet, une toile  commencée. Il me montre son attirail. Un vieux bidon d'essence où trempent quelques pinceaux, une palette. Et sur un chevalet, une toile  commencée.
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 — Rien de plus. Que ferais-je d'une installation ? Je peins quand ça me chante. Aujourd'hui, c'est la pampa, avec un ombu. — Rien de plus. Que ferais-je d'une installation ? Je peins quand ça me chante. Aujourd'hui, c'est la pampa, avec un ombu.
  
-//L'Ombu// est un arbre de là-bas, presque aussi sacré que le palmier du désert africain. Il rompt de sa ligne tordue, de sa frondaison puissante, la monotonie de la vaste plaine argentine. Parfois, comme ici, une lagune +//L'Ombu// est un arbre de là-bas, presque aussi sacré que le palmier du désert africain. Il rompt de sa ligne tordue, de sa frondaison puissante, la monotonie de la vaste plaine argentine. Parfois, comme ici, une lagune s'étend à ses pieds, mirant le ciel nuageux, hantée de quelques oiseaux... Un squelette de cheval, gisant auprès, indique que là s'est terminée la vie d'une pauvre bête de somme, abandonnée par quelque paysan... Une mélancolie affreuse et belle plane sur cette scène et se communique au spectateur...
-s'étend à ses pieds, mirant le ciel nuageux, hantée de quelques oiseaux... Un squelette de cheval, gisant auprès, indique que là s'est terminée la vie d'une pauvre bête de somme, abandonnée par quelque paysan... Une mélancolie affreuse et belle plane sur cette scène et se communique au spectateur...+
  
 — Cette sorte de paysages tend à disparaître devant l'envahissement de la pampa par la culture intensive. Encore une fois, je peins surtout le passé. — Cette sorte de paysages tend à disparaître devant l'envahissement de la pampa par la culture intensive. Encore une fois, je peins surtout le passé.
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 Il ne répond pas. C'est le plus modeste des hommes. Le succès, bientôt mué en triomphe, lui est venu sans qu'il l'ait cherché, sans qu'il y ait songé même. Il l'a accueilli avec la même simplicité qu'il eût fait l'indifférence. Estimant qu'il a suffisamment parlé de lui, il change de conversation et m'offre le maté. Il ne répond pas. C'est le plus modeste des hommes. Le succès, bientôt mué en triomphe, lui est venu sans qu'il l'ait cherché, sans qu'il y ait songé même. Il l'a accueilli avec la même simplicité qu'il eût fait l'indifférence. Estimant qu'il a suffisamment parlé de lui, il change de conversation et m'offre le maté.
  
-Savez-vous ce que c'est que le maté?+Savez-vous ce que c'est que le maté ?
  
 C'est le grand rite de la vie uruguayienne. Fraternellement, je tette la bombilla d'argent qui puise dans la petite gourde saure le jus épais et vert, tonique merveilleux. L'amertume insoutenable du breuvage a tôt fait de se changer en douceur. On se sent vigoureux, joyeux. C'est le grand rite de la vie uruguayienne. Fraternellement, je tette la bombilla d'argent qui puise dans la petite gourde saure le jus épais et vert, tonique merveilleux. L'amertume insoutenable du breuvage a tôt fait de se changer en douceur. On se sent vigoureux, joyeux.
  
- — N est-ce pas que c'est bon, le maté? dit l'artiste, ravi qu'un Européen comprenne si bien la boisson nationale. Chez nous, les paysans le prennent chaque matin, avant de partir à leur travail, et de la sorte, ils peuvent rester jusqu'à midi sans rien manger. Ce n'est pas un excitant comme le café. Nulle dépression n'est à craindre, au contraire, et si nous jouissons presque tous d'une santé unique, c'est au maté que nous l'attribuons...+ — N'est-ce pas que c'est bon, le maté ? dit l'artiste, ravi qu'un Européen comprenne si bien la boisson nationale. Chez nous, les paysans le prennent chaque matin, avant de partir à leur travail, et de la sorte, ils peuvent rester jusqu'à midi sans rien manger. Ce n'est pas un excitant comme le café. Nulle dépression n'est à craindre, au contraire, et si nous jouissons presque tous d'une santé unique, c'est au maté que nous l'attribuons...
  
 Un coup d'oeil suprême sur les toiles partout répandues, comme un exotique bouquet dénoué : fleurs, robes de femmes, sourires indiens, m'assure que, tout de même, pour magique qu'il soit, le maté n'explique pas tout. Le talent se nourrit d'un suc plus secret. Un coup d'oeil suprême sur les toiles partout répandues, comme un exotique bouquet dénoué : fleurs, robes de femmes, sourires indiens, m'assure que, tout de même, pour magique qu'il soit, le maté n'explique pas tout. Le talent se nourrit d'un suc plus secret.